Signé Nicolas Ungemuth Rock'n'Folk. Je ne mets jamais mes articles en ligne, mais les délires autour de la réédition de Sgt. Pepper's et la manière dont sont traités les quelques individus osant trouver cela ridicule ("haters", "réacs", "déclinistes", etc.) m'insupporte tellement que je ne résiste pas à à la tentation de poster ce papier : "Dans une industrie au bord de l’agonie, il n’y a pas de petit profit : pour l’anniversaire d’un disque célèbre du plus célèbre de tous les groupes de rock, il s’agit de faire quelque chose (même si, curieusement, nous n’avons rien eu en 2016 pour « Revolver », tout aussi bon que le sujet qui nous concerne). Mais que faire lorsque tout a été fait ? Que faire lorsqu’on a vendu pendant des décennies un vinyle, puis des K7, puis une première génération de CD, puis une seconde, puis des chutes de studio, puis à nouveau un vinyle, le tout partant invariablement d’un mix absurde (nous y reviendrons) ? C’est simple : on se prend pour le docteur Frankenstein, on récupère des organes morts (des bandes de « première génération »), on les réassemble et on tente d’insuffler de la vie à cette recomposition post mortem. Pour finir, on revend le tout en expliquant que la lumière est enfin faite. Alléluia.

Donc, nous venons d’apprendre (certains le savaient depuis longtemps), que les versions stéréo de « Sgt. Pepper’s » que des générations entières avaient achetées pour le plus grand bonheur d'Apple et EMI ne valaient pas un pet de lapin et que cette nouvelle affaire « remixée » (et non pas remasterisée, c’est toute la différence), est indispensable : elle changerait tout -ce qui est un peu le principe de tout remix, quand-même, et en même temps, le problème.

Rappel des faits : les Beatles ont sorti en 1967 un album intitulé « Sgt. Peppers Lonely Hearts Club Band » avec leur collaborateur producteur, le très génial George Martin et l’ingénieur du son tout aussi doué Geoff Emerick. Cet album a été fait en Mono. C’est ainsi qu’il a été pensé, conçu, voulu, et réalisé. Par la suite, afin de coller à la logique économique d’un marché de la Hi-Fi en pleine émergence, George Martin a été contraint d’en refaire une version stéréo en quelques jours alors que le mix Mono avait pris plusieurs semaines. Les garçons n’en avaient tellement rien à foutre qu’ils n’ont pas participé à ce travail et étaient physiquement absents lors de sa réalisation. Nous avons donc eu une première version de « Sgt. Pepper’s » réalisée par George Martin sans les Beatles.

Nous avons aujourd’hui une seconde version réalisée sans les Beatles (50% du groupe n’est plus de ce monde et n’a pas eu l’occasion de donner son avis) et sans George Martin également, puisque son fils a pris le relai. C’est certainement un progrès. Le fils en question nous explique que l’ancien mix, réalisé à la hâte avec des moyens primitifs, ne permettait pas d’entendre correctement la batterie de Ringo ni la basse de Paul. C’est curieux : des décennies durant, nous les avions entendues parfaitement et nous pensions que l’enregistrement en question était proprement génial et insurpassable (pour ceux qui ne connaissaient pas la version Mono).

Alors, comment sonne cette nouvelle version stéréo ? Elle sonne de manière très différente : elle sonne « moderne ». Elle est « efficace ». Elle est « couillue ». Comme un disque néo psychédélique de 2017. Ce n’est pas du tout le même album : le fond ne bouge pas, mais la forme est ripolinée, couverte de couleurs saturées à la manière de ces filtres Instagram qui promettent un effet vintage à partir d’effets numériques paradoxalement ultra-contemporains. L’affirmation du fils Martin (« On n’entendait pas correctement la batterie, etc. ») est la justification même d’une réflexion qui s’impose : son constat à lui s’inscrit dans les canons de 2017, c’est-à-dire dans la manière dont nous estimons aujourd’hui qu’une batterie et une basse devraient sonner sur un album a fortiori légendaire (nous penserons probablement différemment dans 30 ans).

C’est évidemment une ânerie, voire une impasse esthétique totale : le principe de l’œuvre d’art, on peut remonter aux grottes de Lascaux, c’est précisément qu’elles sont figées dans leur temps comme l’insecte préhistorique dans son ambre. Elles nous apprennent des choses sur leur époque, mais les Å“uvres d’art plus que les insectes nous rappellent des canons esthétiques oubliés ou en voie de l’être. Elles sont là pour évoquer infiniment un temps perdu et fini. Elles n’ont pas pour ambition de s’accorder au nôtre.

Quoi qu’il en soit, « Sgt Pepper’s » a été conçu en Mono, et la vraie tragédie, plus que cette nouvelle expérimentation douteuse (après les traitements hideux imposés à « Yellow Submarine » ou « Let It Be » par Paul, voire « All Things Must Pass » par George mais c’est une autre histoire) est que la discographie des Beatles en Mono, soit tout ce qu’ils ont fait jusqu’à 1968, est indisponible pour qui n’a pas les moyens de se procurer le coffret Mono qui a tout de même attendu 2009 pour être en vente et qui va rapidement devenir introuvable. Avons-nous envie d’écouter les Ronettes en stéréo ou « London Calling » en Mono ? Voulons-nous "redécouvrir" « Métropolis » ou « Les Rapaces » en 3D ? Evidemment, non."

Tcho! Managueure from Bat Yam